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Rio Tinto prépare un gros projet d’éoliennes sans Hydro-Québec - Chambre de commerce et d'industrie Saguenay-Le Fjord

Rio Tinto prépare un gros projet d’éoliennes sans Hydro-Québec

L'incapacité d'Hydro-Québec à fournir de l'électricité à tous les projets industriels crée un engouement pour l'autoproduction privée, en dehors du réseau public. Radio-Canada a appris que le géant de l'aluminium Rio Tinto souhaite développer un grand parc d'éoliennes au Saguenay–Lac-Saint-Jean pour répondre à ses nouveaux besoins. Et il n'est pas le seul à prendre ce virage.

Plusieurs sources indiquent que la compagnie Rio Tinto souhaite générer elle-même des centaines de mégawatts (MW), potentiellement entre 700 et 1000 MW, grâce à des éoliennes, puisqu'elle n'a pas obtenu les fameux «blocs d'énergie» alloués par le gouvernement Legault.

Selon nos informations, des employés de Rio Tinto ont récemment installé des appareils pour calculer la force des vents dans le secteur de son barrage de Chute-des-Passes.

À l'instar du projet de TES Canada en Mauricie, qui compte produire 1000 MW avec de l'énergie éolienne et solaire pour les besoins de sa production d'hydrogène, la mode est à l'autoproduction chez les industriels en quête de mégawatts.

La tendance confirme la prophétie du ministre de l'Économie, de l'Innovation et de l'Énergie, Pierre Fitzgibbon. Le 11 novembre dernier, dans un courriel à propos de l'autoproduction, il écrivait : «Attendez de voir ce qui s’en vient. Ce n’est que le début!»

Un projet encore secret

Le projet de Rio Tinto est préparé avec la collaboration de plusieurs municipalités régionales de comté (MRC) du Saguenay–Lac-Saint-Jean et la communauté innue de Mashteuiatsh.

«C'est confidentiel, on ne peut pas en parler», nous a répondu le préfet de la MRC du Fjord-du-Saguenay, Gérald Savard. Du côté de Mashteuiatsh, on évoque l'existence d'un projet de Rio Tinto, mais sans vouloir commenter davantage.

Sans confirmer ni infirmer nos informations, l'entreprise admet se pencher sur des projets d'énergie renouvelable.

Rio Tinto étudie différentes options visant à sécuriser son approvisionnement en énergie verte au Québec afin de soutenir sa croissance et la décarbonation de ses activités existantes.

Le projet éolien de Rio Tinto ne serait pas étranger à l'arrivée du Français Jérôme Pécresse à la tête de la direction Alumium de Rio Tinto, en octobre. Auparavant, il était vice-président de l'entreprise General Electric, au sein de laquelle il développait la filière énergie renouvelable.

Rio Tinto n'est pas non plus en terrain inconnu avec les éoliennes. La multinationale en a récemment installé à Madagascar, en Afrique, pour alimenter une des mines en électricité propre.

En décembre 2022, Rio Tinto a signé une entente culturelle et économique avec la communauté innue de Mashteuiatsh, censée marquer une nouvelle ère de partenariat dans différents domaines, dont celui de l'énergie. Sans faire mention de l'éolien, le nom de l'entente, en langue innue, nous a interpellés : Kuessilueu, qui signifie le vent tourne.

Rio Tinto manque de mégawatts pour son développement

La production de Rio Tinto au Québec requiert une puissance électrique de 2300 MW, dont environ la moitié est assurée par ses propres centrales hydroélectriques, dont la plus récente a 65 ans.

«Notre capacité de production énergétique ne sera pas suffisante», avait déclaré le directeur exécutif opérations Atlantique de Rio Tinto, Sébastien Ross, lors d'un sommet sur l'aluminium en mars 2023, en parlant des projets de développement de l'aluminium vert, comme Elysis.

À ce moment, le géant de l'aluminium espérait obtenir plus de puissance du réseau d'Hydro-Québec, mais jusqu'à présent, Rio Tinto ne figure pas parmi les bénéficiaires des mégawatts, dont la liste a été dévoilée par Radio-Canada. D'ici 2028, il ne reste que 500 MW à distribuer par le ministre Fitzgibbon.

Les déçus se débrouilleront seuls

Le gouvernement Legault a été inondé de demandes d'industries, d'ici et d'ailleurs, pour obtenir les précieux «blocs d'énergie»au tarif le moins cher en Amérique du Nord. Plus de 150 entreprises ont demandé un total de 30 000 mégawatts, ce qui est énorme. À titre de comparaison, Hydro-Québec a qualifié d'ambitieux son projet d'augmenter sa production totale de 8000 ou 9000 MW d'ici 2035.

Dans un contexte où la société d'État n'est plus capable de répondre à cette forte demande, des projets risquent d'être retardés, voire annulés, avait prévenu le gouvernement. «Le monopole est rompu [...] le contrat social est rompu», témoigne un industriel de l'industrie éolienne. «Les gens veulent se développer.»

«On veut que ça avance, explique le président de l'entreprise TEAL Chimie & Énergie, Jonathan Martel, en entrevue avec Radio-Canada, donc la seule solution, c'est l'autoproduction».

Son entreprise veut produire de l'hydrogène et de l'ammoniac verts à Sept-Îles, sur la Côte-Nord. Elle avait demandé un bloc de 500 MW à Québec, mais cela lui a été refusé. TEAL a donc revu sa demande à la baisse. Aujourd'hui, elle ne demande plus que 150 MW issus du réseau public et compte produire elle-même le reste.

On se fait même encourager par Hydro-Québec et le gouvernement. [...] Tout le monde se fait un peu inciter à considérer ça.

Une citation deJonathan Martel, président de TEAL Chimie & Énergie

Selon le gouvernement et la société d'État (Nouvelle fenêtre), la loi permet l'autoproduction d'électricité pourvu que ce soit uniquement pour le compte de l'entreprise et que celle-ci utilise son propre réseau de transport.

«Nous espérons que d’autres projets semblables prendront forme», avait aussi déclaré, en novembre, le cabinet du ministre Fitzgibbon, au sujet de TES Canada.

C’est non seulement permis, c’est désirable. Alors, j’encourage les entreprises à copier le modèle de TES Canada.

Une citation dePierre Fitzgibbon, ministre de l'Économie, de l'Innovation et de l'Énergie, le 30 novembre 2023

En novembre, TEAL Chimie & Énergie a signé une entente avec une entreprise américaine qui développera son projet d'énergie renouvelable. Son président a affirmé avoir constaté un même intérêt pour l'autoproduction avec tout le monde avec qui on discute, dans toutes les industries.

Une autre entreprise, H2 Green Steel, qui souhaite implanter une aciérie alimentée à l’hydrogène vert à Sept-Îles, se bute à ses propres besoins énergétiques. Le projet nécessiterait jusqu’à 1700 mégawatts (MW), soit plus que le complexe de la Romaine.

L’entreprise compte donc produire elle-même une partie de son électricité pour combler ses besoins, à l’instar de l’usine d’hydrogène vert TES Canada à Shawinigan. Grâce à l’éolien, H2 Green Steel envisage de produire entre 1500 et 2000 MW, quelque chose de massif, selon le chef du projet, Patrick Tobin.

À Baie-Comeau, toujours sur la Côte-Nord, une autre entreprise suédoise, Universal H2 (UH2), veut implanter une usine d’hydrogène et d'ammoniac verts. La première phase nécessitera 120 mégawatts (MW) d'électricité, dont près de la moitié serait produite par l’entreprise elle-même.

«Une épidémie d'autoproduction»

L'analyste Jean-Pierre Finet, du Regroupement des organismes environnementaux en énergie, n'est pas très content d'entendre parler de tous ces projets d'autoproduction. Il craint «une épidémie

Si les 30 000 MW de demandes industrielles non satisfaites à ce jour se mettent toutes à autoproduire comme le fait TES Canada, c’est l’équivalent de 30 TES qui pourraient accaparer les meilleures ressources naturelles, les plus avantageuses.

Une citation deJean-Pierre Finet, analyste au Regroupement des organismes environnementaux en énergie

Selon cet expert, ces autoproducteurs industriels bénéficieront ainsi d’un congé de contribution à l‘effort de décarbonation que le reste de la clientèle devra assumer via les tarifs.

Rio Tinto bénéficie déjà d'un avantage historique avec ses propres barrages qui lui permettent de répondre à la moitié de ses besoins en électricité, à un coût quatre fois moins élevé que le tarif négocié avec Hydro-Québec.

Source : L'article est paru sur le site du journal Radio Canada le 16 janvier 2024. Vous pouvez retrouver l'article ici.